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Les justes guerres et celles qui le sont moins

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guerres ukraine & moyen-orient © deepai

La guerre gronde en Ukraine et au Moyen-Orient, voire jusqu’aux frontières de l’Inde et du Pakistan. Quels adversaires ont la légitimité de mener ces guerres ?

La question de savoir si la guerre peut être juste est ancienne. Déjà Aristote et Cicéron[1] étaient convaincus que la guerre ne pouvait être juste que si elle servait la paix. Les premiers chrétiens s’interrogeaient sur la licéité de la guerre et de leur participation au service des armes. Puis s’élabora une vraie doctrine occidentale de la guerre juste dans de nombreux ouvrages, d’Augustin d’Hyppone (354/430) à Thomas d’Aquin (1225/1274), qui en firent une synthèse utilisant aussi le droit romain. Dans sa Somme théologique[2], Thomas d’Aquin soumet les guerres à trois conditions pour qu’elles soient justes : que la guerre ait été décidée par une autorité légitime d’un État, que la cause soit juste c’est à dire tende à rendre justice d’une faute, que l’intention du Prince soit droite, c’est à dire soit orientée à promouvoir le bien ou faire cesser le mal.

La guerre au service de la paix

Près de quatre siècles plus tard, la notion fut laïcisée par Hugo Grotius pour lequel la guerre est juste[3] :

  • si sa cause est juste, ce qui est le cas si la guerre est faite pour se défendre,
  • pour recouvrer ses biens ou plus généralement son « dû »,
  • pour punir d’exactions.

Sont injustes à l’inverse, disait-il, les guerres qui utilisent des prétextes ou fondées sur des causes incertaines.

La réalité est plus compliquée

Dans cet esprit qui a imprégné depuis lors les relations internationales, la guerre apparaît juste pour l’Ukraine attaquée par les Russes, comme pour Israël contre le Hamas qui a tué et pris en otage des civils et contre l’Iran qui menaçait de détruire Israël et aurait été sur le point de disposer des moyens de le faire en fabriquant des bombes atomiques en violation du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) auquel ce pays adhère.

Mais la difficulté est bien entendu que chacun interprète la notion de « guerre juste » à sa façon. Au nom de la guerre juste, ont été légitimées les croisades et la colonisation de l’Amérique (cf. Vitoria). Les Russes veulent récupérer l’Ukraine, comme si les Italiens voulaient reprendre les Savoies et Nice ou les Allemands l’Alsace et la Lorraine. Ils prétendent que l’Ukraine appartient à la nation russe alors pourtant que celle-ci l’a martyrisée dans les années 1930 (Holodomor) et que l’Ukraine a en propre son passé, sa langue et, pour partie, sa religion.

C’est plus compliqué encore au Moyen-Orient parce que la religion s’en mêle plus étroitement. Israël veut toute la Judée-Samarie parce qu’elle est un territoire religieux qui lui appartenait il y a 2000 ans. Comme si les Romains nous réclamaient la Gaule ! Mais surtout Israël est entouré de musulmans pour lesquels la guerre juste est celle qui leur permet de s’accaparer les terres sur lesquelles a un jour dominé l’Islam. Et depuis sa révolution islamique de 1979, Téhéran veut rayer Israël de la carte. Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a qualifié en 2017 Israël de « tumeur cancéreuse » en prônant « la libération totale de la Palestine ».

Les guerres saintes de l’islam

Les territoires de l’Islam soumettent le politique au religieux et « Le but de l’État en islam est d’accomplir la volonté d’Allah sur la terre[4] ! ». La tradition musulmane a rapidement distingué deux mondes : le territoire de la paix, Dar al-islam, gouverné par des musulmans et où vit généralement une majorité de musulmans qui y pratiquent l’islam, et celui de la guerre, Dar al-harb, où la conquête reste à faire[5].

Le Coran multiplie les sourates encourageant à la guerre pour reprendre les territoires du Dar al-harb : « Tuez les polythéistes partout où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades » (9, 5). « Combattez-les ! Dieu les châtiera par vos mains ; il les couvrira d’opprobres ; il vous donnera la victoire » (9, 14). « Combattez : ceux qui ne croient pas en Dieu et au jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son prophète ont déclaré illicite ; ceux qui parmi les gens du Livre ne pratiquent pas la vraie religion » (9, 29)[6]… Et la loi coranique, la Chari’a considère que le combat pour la religion est un devoir.

Lorsque les dieux s’en mêlent, les conflits sont plus absolus. Dès lors, il devient compliqué de trouver la paix entre les musulmans et ceux qui ne le sont pas. Le conflit devient insoluble sauf à le traiter par la guerre jusqu’à forcer la partie perdante à accepter la paix. Il faut craindre que la paix soit impossible contre Poutine qui se prend presque pour un démiurge, sauf à la gagner par les armes, ce que l’Ukraine ne pourra pas faire seule. Il est certain que l’Iran et ses affidés (Hamas, Houthis, Hezbollah…) ne concluront la paix qu’à genoux. Il semble difficile de reprocher à Israël de les y contraindre sauf à ce que l’Etat hébreu sache ensuite accepter l’existence d’un Etat palestinien sur un territoire à partager et dans une reconnaissance mutuelle qu’il pourrait alors imposer.

Si vis pacem, para bellum (si tu veux la paix prépare la guerre) disaient les latins. Pour le moins, les évènements contemporains le rappellent à l’Europe.


[1] Ciceron, De Officiis, I, 23 « Quand nous nous décidons à la guerre, il faut que tout le monde voie clairement que notre but dernier c’est la paix ».

[2] IIa IIae

[3] Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, 1625, PUF, 1999,  LA PERMANENCE DU DROIT DANS LA GUERRE Prol., § XXV, p. 17 : « La guerre elle-même ne doit être entreprise qu’en vue d’obtenir justice, et […] lorsqu’elle est engagée, elle ne doit être conduite que dans les termes du droit et de la bonne foi. Démosthène dit avec raison que la guerre est dirigée contre ceux qui ne peuvent être contraints par les voies judiciaires. Les formes de la justice sont efficaces contre ceux qui se sentent impuissants à résister ; quant à ceux qui peuvent lutter ou qui pensent le pouvoir, on emploie les armes contre eux. Mais pour que la guerre soit juste, il ne faut pas l’exercer avec moins de religion qu’on a coutume d’en apporter dans la distribution de la justice. »

[4]. Falih Mahdi, Fondements et mécanismes de l’État en islam : l’Irak, L’Harmattan, 1991, p. 133.

[5] Olivier Hanne (Les frontières en Islam – Entre unification impérialiste et fractionnement opportuniste, Communio 2019/6 (N° 266), pages 33 à 45) observe la manière dont l’affrontement avec Byzance avait exacerbé la vision manichéenne de l’espace dans l’Islam médiéval : « Le monde serait constitué de deux « demeures ». Dans le dar al-islâm (« demeure de l’islam »), la paix règne, l’homme obéit aux lois de Dieu et à ce que le Coran pose comme licite. Or, justement, ces lois sont appelées hudûd, « frontières ». L’unicité divine (tawhîd) est proclamée et nul ne songe à adhérer à l’infidélité. La Umma y est rayonnante. Au-delà des frontières se situe le dar al-harb (« demeure de la guerre »), un monde barbare et chaotique (la jahiliya), hostile à l’islam, où les fidèles sont persécutés, isolés, où règnent le taghût, la « transgression » et le péché sous toutes ses formes (harâm). Ici, les musulmans sont vivement appelés à rejoindre la Umma en faisant leur émigration (la hijra), comme Muhammad avant eux. Tous les fidèles doivent leur venir en aide par le jihâd. »

[6] Cf. Le Coran. Édition et trad. de l’arabe par Denise Masson, 1967. Bibliothèque de la Pléiade.

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